J’ai enfoui ma tête sous les draps, mis les pendules à l’envers, écouté le silence, fermé les yeux… oublié même que j’existais.

Ça aurait pu marcher. Mais non. Je me réveille, dans une chambre d’emprunt, on est dimanche après-midi et je suis seule, en face de ce putain de chiffre impair qui m’impose de faire le bilan.

Ça pue le pathos, je fête mes trente et un ans en écrasant mon mégot dans le fond de mon café noir, dans un appart vide, qui n’est même pas le mien. Je ne sais pas comment on branche la musique, ici – sûrement un système avec la télé – sans quoi, j’aurais balancé Lacrimosa volume à fond dans le salon, et alors là, rangez vos couteaux de cuisine, on quitte le pathos direction la tragédie ordinaire, l’accident domestique bête. Putain, Mozart, c’était pas un rigolo…

Non, en vérité, je me fous de mon anniversaire autant que d’une mouche entrain de crever sur du papier collant. Ce n’est pas ce que disent tous les gens qui ne fêtent pas leur anniversaire ? Les gens sans orgueil ? Ha ! L’amour-propre. Ce sentiment dont je me suis dépossédée les années passant…

Allez, sanctifiez-moi ! Canonisez la martyre ! Giflez-moi, je tendrai l’autre joue.

J’ai trente et un ans, et de l’amertume plein la bouche.

Je suis en rage contre moi-même et vénéneuse pour le reste de l’humanité.

Je me demande à quel moment ça a chié dans la colle. Sûrement qu’à la naissance les dés étaient jetés. L’éducation et le caractère auront fait le reste.

Je suis bancale. En attestent mon signe astrologique et les onze millimètres de décalage de mon bassin. Passer sa vie à chercher l’équilibre, la justice en toute situation alors que c’est du chaos que naît la vie et alors même que sa propre vie ressemble à un site archéologique qu’on aurait laissé à l’abandon après s’être rendu compte qu’à cet emplacement il n’y avait que des os de poulet, j’avoue, c’est absurde.

Mais putain de bordel de merde quand tu prends du recul et que tu fais le bilan, ben, ça pique ; quand même…

Séparée, mère de deux enfants grandissant dont l’un demande une prise en charge particulière, une chambre minuscule à leur offrir et un appartement pas bien plus grand, un clic clac dans le salon. Des plannings de furieux, un boulot de nuit, une course contre le temps, des passe-temps solitaire, et célibataire…

Bref, une vraie vie de con dans laquelle momentanément, je ne sais plus comment mettre de la lumière, de la couleur, de l’éclat.

Quel est le sens de sublimer une réalité morose, si ce ne sont que des artifices, finalement ?

Voilà.

Trente et un ans, et le sentiment d’en avoir cent dix, de m’être usée, pour rien.

Je suis dépossédée et vide.

Gâchée.

l